Un conte

Le Paradis de la Villedieu

Conte franc-comtois écrit par Jean Marie Gardet vers 1960 pour sa maman Marie-Louise Gardet née Rodoz.

Tout là-haut sous les nuages, c’est la fête en Paradis.
Les anges ont plus que jamais plumes blanches, les saintes et saints ont astiqué leur auréole et la Sainte Trinité elle-même est encore plus éclatante que d’habitude.
Aujourd’hui c’est la fête du Baptiste. Eh oui au ciel aussi on fête les saints et la Saint Jean, tout comme sur terre, y est célébrée avec joie et grandeur.
Saint Pierre est le responsable de la fête et il s’affaire le bon Saint Pierre et il a bien du mal avec ces angelots qui ne pensent qu’à le taquiner et le faire se fâcher car même au Paradis le grand St Pierre a gardé son fichu caractère et rien ne sera prêt à temps.
–  Allons, dépêchez-vous, il n’est guère le temps de jouer à cache-cache avec les nuages, beaucoup d’aubes sont encore à repasser et toutes ces auréoles ternes, allons, au travail, au travail, ah mon Dieu, il était plus facile de pêcher sur le lac Tibériade.
–  Surtout les jours de pêche miraculeuse.
Saint Pierre a beau se retourner vivement, il ne saura jamais l’angelot auteur de la malicieuse réplique.
Voici, soudain, qu’au détour d’un cumulus vagabond, débouche une procession d’où montent des chants du vieux temps : l’Ave Maria, l’Angélus et tous ces cantiques qui résonnaient si bien sous la voûte des églises de campagne.
Saint Pierre devint tout rouge 
–  Mon Dieu, Mon Dieu…
–  Qu’y a-t-il mon bon Saint Pierre ? 
Dieu le Père, en personne, ou plutôt en 3 personnes, était là. 
–  Tu vois, je viens toujours lorsqu’on m’appelle.
–  Mon Dieu, la fête n’est pas commencée, d’où viennent-ils ceux-ci ? Je vais les renvoyer dans leur coin de paradis.
–  Allons, allons, Pierre, toujours aussi impulsif ! Décidément tu ne te renies pas.
Là, Saint Pierre se sentit vexé. Il n’aime guère entendre le verbe renier.
–  Décidément, j’en entendrai toujours parler… 
–  Toute l’éternité, mon bon Pierre, toute l’éternité… 
–  Mais enfin, Seigneur, il n’y a plus moyen, si chacun fait ce qu’il veut, où allons-nous ? 
Alors Dieu le Père prit Saint Pierre par le bras et l’emmena tout au bout du Paradis, tout au bord du paradis, là où si on se penche un peu et si on écarte les nuages, on voit la Terre.
– Regarde là-bas, tout en bas, au milieu des prés et des bois… 
Et Saint Pierre vit :
dans un petit coin de France, sur un plateau, une vieille église à moitié démolie, mais dont le clocher intact se dressait dans le ciel bleu.
– Regarde, que vois-tu écrit sur le clocher ? 
Et Saint Pierre lut :
– Saint Jean Baptiste – La Villedieu –  
– Regarde bien, au pied de l’église que vois-tu ?
Et Saint Pierre regarda :
des hommes, des femmes, des enfants étaient rassemblés et priaient et chantaient.
– Ecoute bien, Saint Pierre, écoute bien …
Et Saint Pierre écouta.
Des chants et des cantiques montaient vers le ciel.
– Reconnais-tu ces chants, ces cantiques ? 
Et Saint Pierre reconnut les chants et les cantiques que chantaient la procession de tout à l’heure.
– Mon Dieu, je ne comprends pas… 
– Regarde un peu, nous revenons en arrière.
Maintenant Saint Pierre voyait toujours l’église, mais autour de l’église il y avait des maisons et autour de ces maisons, des hommes, des femmes qui allaient et venaient. Tout un monde vivait sous les yeux de Saint Pierre.
– Regarde, là c’est l’école et son institutrice, Mlle Amaudry, là c’est la ferme des Barbier, là c’est la maison des Rodoz, là celle des Blanchard, là… et là…
Et Dieu énumérait les familles et Saint Pierre regardait en hochant la tête.
–  Mon dieu, Mon Dieu… 
–  Et maintenant, regarde, regarde bien, tu comprendras.
Devant chaque maison les habitants du village étaient réunis. Sur des voitures, meubles, ustensiles, horloges, matelas étaient entassés et les gens pleuraient, se disaient au revoir avec toute la tristesse du monde.
Sur les routes et les chemins, lentement, tous quittaient leur maison.
Sur les joues burinées de Saint Pierre de grosses larmes coulaient.
Saint Pierre avait compris : la procession « impromptue », c’étaient ceux du village, ceux qui avaient enfin trouvé leur maison, retrouvé leur communauté et ceux qui chantaient là-bas, c’étaient leurs enfants, leurs petits-enfants, qui sur terre se rappelaient le temps où leur village était vivant.
– Tu vois Pierre, ils sont partis, chassés, à la place de leurs maisons, de leurs prés, il n’y a plus qu’un vaste enclos où mes fils apprennent à combattre et à tuer.
Eh oui, mes enfants ont parfois d’étranges idées… il faut qu’ils apprennent, qu’ils choisissent et ce sera long… Je dois toujours veiller sur eux, mais parfois ils ont vraiment d’étranges idées et cela me fait de la peine… mais ouvre toujours grandes les portes du Paradis à ceux de la Villedieu. 
Le jour de la Saint Jean Baptiste, au Paradis, c’est un grand jour et Saint Pierre sourit.
Il n’est pas étonné si de la tête de la procession montent chants et cantiques du vieux temps et si les chanteurs ont l’accent franc-comtois.

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